Les forces de marée

Les arguments avancés pour expliquer comment ça marche

Erika Wehrel — le 22 novembre 2018

Les forces de marée sont la manifestation la plus visible de la gravitation, après la pesanteur qui nous oblige à rester à la surface de la Terre. Il n’est malheureusement pas facile de dire comment la loi de Newton permet d’expliquer ce phénomène, et plus encore de prédire le marnage, c’est-à-dire la différence de hauteur entre la marée basse et la marée haute. Il ne dépasse guère les 17 mètres. Wikipédia vous propose deux articles, un intitulé « Marée » et l’autre « Force de marée ». Je conseille plutôt le premier, qui présente les calculs tels que les géophysiciens le font, mais après le préambule, vous allez tomber sur un développement du potentiel en polynômes de Legendre, ce qui a de quoi décourager pas mal de monde. Comme souvent, cet article de Wikipédia ressemble plus à un cours pour étudiants qu’à de la vulgarisation scientifique.

Je mets donc une illustration que j’ai trouvée sur internet et qui explique les choses très simplement. Le système Terre-Lune n’est pas représenté à l’échelle. Pour cela, il faudrait éloigner la Lune, puisque la distance moyenne du centre de la Terre au centre de la Lune est de 384 400 km alors que le rayon moyen de la Terre n’est que de 6 371 km et que celui de la Lune n’est que de 1 738 km. La Lune ne tourne pas autour de la Terre, mais la Lune et la Terre tournent autour de leur centre de gravité ou barycentre. C’est un point situé sous la surface de la Terre, à environ 5 000 km de son centre.

Avant d’aller plus loin, il faut préciser le référentiel que l’on utilise. Tout mouvement ne peut se définir que par rapport à un référentiel. Par exemple, quand on dit qu’une voiture roule à 90 km/h, c’est toujours par rapport à la Terre. On utilise dans ce cas un référentiel qualifié de géocentrique, dont l’origine peut être mise au centre de la Terre. Comme la Terre tourne sur elle-même, il apparaît des forces dites centrifuges, celles que l’on ressent dans un manège en rotation. Ce ne sont pas de vraies forces, mais on les ressent comme telles.

La Terre tourne également autour du barycentre du Système Terre-Lune. Cela fait apparaître d’autres forces centrifuges qui sont représentées en (2) sur le dessin. On peut les qualifier de forces d’entraînement pour ne pas les confondre avec les premières. À cela, s’ajoute les forces de gravitation exercée par la Lune. J’utilise le pluriel parce qu’il s’agit d’un champ de forces : en tout point de la Terre, il y a une force qui s’applique. À la surface de la Terre, elles sont plus fortes du côté de la Lune que du côté opposé, puisque l’intensité de la gravitation décroît avec la distance. Elles sont représentées en (1). La somme des deux champs de forces constitue les forces de marée, représentées par le troisième dessin. Du côté gauche, la surface de la Terre est tirée vers la gauche par les forces d’entraînement. Du côté droit, la surface de la Terre est tirée vers la droite par les forces de gravitation. La Terre se déforme alors comme un ballon de rugby. Cette déformation s’ajoute à celle causée par la rotation de la Terre sur elle-même, mais elle est inférieure. Plus exactement, il y a deux choses qui se déforment : la Terre et les masses d’eau.

Le calcul montre qu’en tout point de sa surface, la force de marée est proportionnelle à K = (m/M)(R/d)3, où m est la masse de la Lune, M est la masse de la Terre, R est le rayon moyen de la Terre et d est la distance moyenne du centre de la Terre au centre de la Lune. Le rapport R/d est élevé à la puissance 3. Il s’agit d’un nombre sans dimension, c’est-à-dire qu’il n’a pas d’unité.

Ce qui est intéressant, c’est que l’on peut obtenir ce coefficient K par un raisonnement simplifié, qui fait appel à peu de mathématiques et que je pourrais présenter. Il ne reste plus qu’à l’appliquer avec des valeurs de m et M que l’on trouve sur internet ou dans n’importe quel livre d’astronomie. On obtient K = 0,000 000 056. Ce résultat montre la faiblesse des forces de marée. Si l’on suppose que K est égal à l’amplitude H de la déformation de la surface terrestre divisée par le rayon moyen r = 6371 km de la Terre, on trouve H = 35 cm. C’est à peu près la déformation réellement observée de la surface solide de notre planète, causée par les forces de marée. Deux fois par jour, le sol monte et descend d’une trentaine de centimètres, amplitude qui est bien sûr inférieure à celle du marnage. On peut estimer de la même manière les forces de marée exercées par le Soleil sur la Terre. Il suffit de remplacer m par la masse du Soleil et d par la distance Soleil-Terre. Cela donne K = 0,000 000 026, d’où une amplitude H = 16 cm. On voit que les forces de marées exercées par le Soleil sur la Terre sont plus de 2 fois inférieures à celles exercées par la Lune sur la Terre.

On peut continuer à faire toutes sortes de calculs, par exemple les forces de marées exercées par la Terre sur la Lune : K = 0,000 007 48, ce qui donne H = 13 m avec le rayon moyen de la Lune. Ainsi, la Terre exerce sur la Lune des forces de marées beaucoup plus fortes que la Lune sur la Terre. Cela explique la rotation synchrone de la Lune.

Effet de Jupiter sur son satellite Io : K = 0.001 7. C’est énorme ! On comprend que Io soit malmené par Jupiter. Les forces de marées transforment Io en un astre en fusion, avec un volcanisme plus important que celui de la Terre.

Phénomène bien plus complexe

Nous venons de voir comment la gravitation crée les forces de marées : la Terre et la Lune tournent autour de leur centre de gravité. Le Soleil exerce également des forces de marées sur la Terre, mais elles sont 2,17 fois moins intenses que celles exercées par la Lune. Ceci dit, le phénomène est plus compliqué que cela. Les marées varient beaucoup tout autour du Globe. Par exemple, il peut y en avoir deux par jour d’amplitudes équivalentes (cycle semi-diurne), ou deux par jour d’amplitudes inégales (cycle mixte), ou une seule par jour si l’autre a une amplitude négligeable (cycle diurne). Tout s’explique, mais c’est parfois compliqué. Les platistes et autres adversaires de la science peuvent en tirer argument pour dire qu’elle ne permet pas d’expliquer le déroulement des marées de manière satisfaisante. Ils n’ont en réalité pas d’autre théorie, mais peu importe : c’est la critique qui compte.

Pourtant, il devrait être facile de vérifier que la marée est à son maximum quand la Lune est au plus haut dans le ciel ou quand elle est dans la direction opposée, donc invisible. La périodicité du cycle est de 12 h 25 soit un peu plus d’une demi-journée. À défaut de pouvoir faire des observations au bord de la mer, qui ne vous permettront pas de chronométrer les marées à la minute près, vous pouvez utiliser des sites comme maree.info. Il m’informe qu’à Calais, le samedi 24 novembre 2018, la marée est basse à 7 h 42 puis à 20 h 06. Il y a donc bien un intervalle de temps de 12 h 24. Ceci est dû au fait que la Lune tourne autour de la Terre en 24 h 50. Le retard concomitant des marées et de la Lune s’observe facilement. Chaque nuit (ou chaque jour quand elle est visible de jour), la Lune met 50 minutes à retrouver la position qu’elle avait la nuit précédente. Elle se lève et se couche donc de plus en plus tard. À Lille, la Lune se lève à 18 h 14 le 24 novembre, se couche à 10 h 30 le 25 novembre et se lève le même jour à 19 h 05, ce qui fait un retard de 51 minutes pour le lever.

Quand le Soleil, la Terre et la Lune sont alignés (syzygie), les forces de marées exercées par la Lune et le Soleil s’additionnent. Il se produit alors des marées de vives-eaux. Cet alignement se voit dans le ciel : c’est la nouvelle Lune ou la pleine Lune. À Calais en novembre 2018, elles ont lieu respectivement les 7 et 23, or les coefficients de marées atteignent leur maximum les 8 et 25, avec 99 et 98 (ces nombres varient entre 20 et 120). Le coefficient minimum est de 32 le 16 novembre, jour du premier quartier. La correspondance est assez bonne. Le léger retard constaté entre la position des astres et les marées est dû aux frottements des masses d’eau et s’appelle l’âge de la marée. Il est d’environ 36 heures en France. Durant les premiers et derniers quartiers, le Soleil et la Lune forment un angle droit (quadrature) avec la Terre et les forces de marées exercées sur celles-ci se soustraient : c’est la période des mortes-eaux. À cela, il faut ajouter un autre facteur. L’orbite de la Lune autour de la Terre n’est pas circulaire mais elliptique. Elle s’en approche donc et s’en éloigne avec un cycle de 28 jours. Quand elle est au périgée (point le plus proche de la Terre), les forces de marées qu’elle exerce sont maximales.

Ce n’est pas tout : qui n’a jamais entendu parler des grandes marées d’équinoxe ? Elles sont dues au fait qu’en fin mars et fin septembre, le Soleil se trouve dans le plan équatorial de la Terre. Le coefficient de marée peut alors atteindre 105. L’illustration de l’Ifremer permet de comprendre ce phénomène. Le plan de l’équateur est horizontal et l’axe de rotation de la Terre est vertical. Un astre, le Soleil dans le cas présent, fait naître deux « bourrelets » dans les océans, l’un de son côté et l’autre du côté opposé, mais comme il n’est pas situé dans le plan équatorial de la Terre, les bourrelets ne le sont pas non plus. À une certaine latitude de l’hémisphère Nord, la marée due à l’attraction du Soleil est élevée (grande Pleine Mer), et du côté opposée, elle est faible (petite Pleine Mer). Si le Soleil est dans le plan équatorial, il provoque deux marées d’amplitudes et de durées équivalentes qui, en situation de syzygie, s’additionnent aux marées lunaires. C’est cela qui cause les marées de vives-eaux d’équinoxe. Quand tous les paramètres astronomiques contrôlant les marées sont proches de leur optimum (syzygie, Lune au périgée et équinoxe), il se produit une « marée du siècle ». Celle du 21 mars 2015 avait un coefficient de 119.

Jusqu’à présent, la Terre a été assimilée à un astre uniformément recouvert d’eau. Si c’était le cas, notre planète devrait être parcourue d’une onde de marée qui en ferait le tour en 24 h 50, mais les continents empêchent l’eau de se déplacer librement. La présence d’un plancher marin diminue la vitesse de propagation de l’onde à cause des frottements : plus la profondeur de la tranche d’eau est faible, plus elle est ralentie. Ensuite, la force de Coriolis dévie les masses d’eau dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère Nord et dans le sens contraire dans l’hémisphère Sud. Il en résulte qu’elles se mettent à tourner autour de points où la marée est nulle, appelés des points amphidromiques. Il y en a deux dans la mer du Nord. Le planisphère montre les autres points, ainsi que les sens de rotation. Les lignes blanches sont les lignes cotidales : les lieux où la pleine mer se produit au même moment. Deux lignes voisines sont séparées d’une heure. Les couleurs représentent la composante lunaire semi-diurne M2, déterminée par des simulations numériques. Elle est créée par une Lune fictive tournant en cercle autour de la Terre dans le plan de l’équateur avec la même période de révolution que la Lune réelle. On voit qu’en plein océan, les variations du niveau marin ne dépassent pas un mètre. La proximité d’une côte les augmente et engendre de puissants courants.

Le fait que la Lune et le Soleil ne se trouvent généralement pas dans le plan équatorial de la Terre permet de comprendre pourquoi certaines marées sont diurnes, mais il y a d’autres facteurs à prendre en compte. La morphologie et la taille des océans jouent également. Ainsi, l’Atlantique est favorable aux cycles semi-diurnes alors que les cycles diurnes dominent dans le Pacifique.

Site de l’Ifremer :
http://www.ifremer.fr/lpo/cours/maree/forces.html

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