Pourquoi les atmosphères tournent-elles ?


Erika Wehrel – Jeudi 2 novembre 2017

Pourquoi l’atmosphère de la Terre tourne-t-elle à la même vitesse qu’elle ?

Le problème a été soulevé par les platistes et, jusqu’à présent, je n’ai pas vu la bonne réponse. On ne peut pas dire que ce soit une question stupide, parce que comme on le verra, l’atmosphère de Vénus ne tourne pas à la même vitesse que sa planète. C’est elle qui illustre cet article. Il n’est pas simple de trouver quelle en est la raison.

Le cas de la terre

Le cas de la Terre est plus simple. L’air est un fluide visqueux, comme tous les gaz et les liquides. Même les solides qui sont capables de se déformer peuvent être considérés comme des fluides visqueux. Cela est dû aux interactions entre les atomes ou les molécules qui constituent ces corps. Pour définir la viscosité dynamique, on considère un écoulement laminaire. Le fluide est divisé en lames planes qui glissent l’une sur l’autre. Lui-même s’écoule contre une paroi plane. Il y a des frottements entre les lames, qui s’opposent aux mouvements, si bien que le profil de vitesse ressemble à ceci :

On fait l’hypothèse que la première lame ne glisse pas contre la paroi. Comme la vitesse entre les deux corps est nulle, il n’y a pas de frottement. La vitesse des lames v(z) augmente avec leur distance à la paroi z. La force de frottement F(z) entre les lames varie également. Si le fluide est newtonien, elle est proportionnelle au gradient de vitesse. Le coefficient de proportionnalité est égal à l’aire S des lames multipliée par la viscosité dynamique η. Cette dernière quantité est donc exprimée en pascal-seconde (Pa.s), le pascal étant l’unité de pression (le newton par mètre carré). Cette définition s’écrit : F(z) = – η S v’(z), où v’(z) est le gradient de vitesse. On peut aussi dire que v’ est taux d’accroissement de la vitesse v (ou la dérivée, pour ceux qui connaissent cette notion). Les gaz, les vapeurs et certains liquides purs se comportent comme des fluides newtoniens. La viscosité dynamique de l’eau à 20 °C est de 0,001 Pa.s, celle de l’air sec à la même température est de 1,8.10⁻⁵ Pa.s. 

Bref, l’air est visqueux et cela peut se mesurer de manière très précise. De plus, des forces de frottement agissent entre l’air et le sol, mais en climatologie, on les considère à grande échelle. Les résultats sont intuitifs. Les surfaces les plus lisses sont les océans. Les plus rugueuses sont les forêts. On sait que les tempêtes font souffrir les forêts, mais elles agissent en retour sur les vents, en les ralentissant. Cependant, ce frottement n’agit guère que sur le premier millier de mètres d’air. 

Malgré la faiblesse des frottements, les océans ralentissent les vents. Autour d’un centre dépressionnaire, l’air se met à tourner, guidé par le gradient de pression et par la force de Coriolis, mais il est freiné par la surface de l’océan. Il se rapproche donc en spirale du centre, ce qui donne aux dépressions leur forme caractéristique. Inversement, les vents agissent sur les masses d’eau. Les courants océaniques sont tous causés par les vents. Ils n’existent quasiment qu’en surface. On peut diviser l’océan en couches parallèles. Le vent met en mouvement la première couche.

Grâce à la viscosité de l’eau, elle entraîne la couche immédiatement sous-jacente, mais il y a une perte de vitesse et une déviation due à la force de Coriolis. Ainsi, la vitesse des couches s’affaiblit avec la profondeur, jusqu’à s’annuler à quelques dizaines de mètres de profondeur, et la déviation s’accroît. Ce phénomène s’appelle le transport d’Ekman. Bien sûr, alors que les masses d’air sont à peu près libres de se déplacer, ce n’est pas le cas des masses d’eau, qui butent contre les continents. C’est pourquoi la distribution des courants océaniques ne ressemble pas exactement à celle des vents.

On l’a compris : la Terre (sa partie solide), les océans et l’atmosphère forment un système maintenu par la pesanteur et les frottements. S’il n’y a pas de force extérieure, toutes les parties de ce système sont immobiles les unes par rapport aux autres, ou sont appelées à le devenir puisque les mouvements sont freinés.

Du vent ?

Mais pourquoi y a-t-il tout de même des vents ? C’est à cause du rayonnement solaire, qui chauffe plus les basses latitudes que les hautes latitudes. Cela provoque un transfert d’énergie vers les pôles, grâce à des mouvements de convection. Aux environs de l’équateur, l’air chauffé se dilate et monte. La vapeur d’eau se condense et des pluies tombent. L’air se dirige vers les hautes latitudes en devenant sec et froid, redescend et repart vers l’équateur. Cette cellule de convection s’appelle la cellule de Hadley. Mais comme les forces de Coriolis agissent sur les masses d’air en mouvement, elles les dévient vers l’est ou vers l’ouest.

Je ne poursuivrai pas la description de la circulation atmosphérique générale. J’ajoute seulement que les neuf dixièmes de l’air sont concentrés sous l’altitude de 16 km. L’atmosphère est une pellicule très fine posée sur les continents et les océans, ces derniers étant encore plus fins. Il est évident que ces enveloppes fluides doivent « adhérer » à la Terre.

Atmosphère de Vénus

Ce n’est pas le cas de l’atmosphère de Vénus, qui tourne beaucoup plus vite qu’elle. Si vous allez sur Wikipédia, vous trouverez quelques mots d’explication, mais la vérité est qu’en 2017, ce phénomène de super-rotation n’est toujours pas compris. C’est d’autant plus frappant que Vénus tourne très lentement sur elle-même : la période de rotation y est de 243,02 jours terrestres. Sur cette planète, il n’y a que 1,92 jour par an. En revanche, l’atmosphère fait un tour de la planète en 4 à 5 jours terrestres à l’équateur, soit 60 à 80 fois plus vite que la planète. Elle est moins rapide au-delà de 50° de latitude nord et sud.

L’importante masse de son atmosphère y est sûrement pour quelque chose. La pression au sol y est 92 fois celle de l’atmosphère terrestre au niveau des océans. Il y a une couche de nuages entre 48 et environ 65 km d’altitude (contre moins de 10 km pour les nuages terrestres !) qui absorbe le rayonnement solaire. La vitesse des vents à son sommet est d’environ 400 km/h. Elle décroît vers la surface, elle passe sous les 10 km/h par heure. Ce n’est pas la force de Coriolis qui agit sur les masses d’air, mais la force centrifuge, due à leur propre rotation. Il tend à s’établir un équilibre cyclostrophique, où la composante de la force centrifuge dirigée vers l’équateur est égale au gradient méridional de la pression, dirigé vers les pôles. En conséquence, les vents ont tendance à circuler le long des parallèles, vers l’ouest – dans le même sens que la planète, dont l’axe de rotation n’est incliné que de 3° sur son orbite. Cette circulation est qualifiée de zonale. 

Comme il existe des frottements entre Vénus et son atmosphère, on pourrait s’attendre à ce que la vitesse de rotation de la planète sur elle-même soit augmentée ou bien que celle de l’atmosphère soit ralentie, mais ce n’est pas du tout ce qui se produit. En 2012, Pierre Drossart et Stéphane Érard, de l’Observatoire de Paris, ont observé un ralentissement de la vitesse de rotation de la planète de 6,5 minutes par jour vénusien. Ils ont utilisé les données des sondes Magellan et Venus Express. Ce phénomène serait causé par la turbulence dans les basses couches de l’atmosphère, dues à la super-rotation des hautes couches. 

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