Rowbotham

Christophe Bouchard

Lorsque le sujet de la Terre plate est abordé dans les conversations entre amis (souvent pour en rire) il est fréquent que l’on évoque l’idée de la résurgence de vieilles croyances médiévales. Renvoyant systématiquement à l’image d’un Moyen-Âge obscurantiste. Or nous savons que non seulement les marins, astronomes, géographes de l’époque savaient déjà que la Terre était un globe (1). Mais qu’en plus, ce savoir leur venait de l’antiquité avec entre autres, Platon, Aristote et Erastosthène qui mesura la circonférence de la Terre avec une marge d’erreur de 1% au premier siècle avant J.C.

Pour comprendre d’où vient l’idée d’un modèle géocentrique fixe avec le Pôle Nord en son centre, il faut remonter beaucoup plus tard, au XIXème siècle.

Un des pères les plus connus de cette « théorie » est Samuel Rowbotham, né à Londres en 1816 et est décédé le 23 décembre 1884. Il fut l’organisateur d’une communauté owéniste (la philosophie socialiste utopiste de Robert Owen) et se fit connaître en 1838 grâce à l’expérience du Canal de Bedford qui devait prouver que la Terre est plate et non sphérique.

Le Canal de Bedford, s’étend en ligne droite sur 9,7 km à l’est de l’Angleterre dans le compté de Cambridgeshire. Rowbotham placé au raz de l’eau avec une longue-vue entreprend de suivre un bateau s’éloignant avec à son bord un fanion. Si la Terre est sphérique, le fanion devrait finir par disparaître sous l’horizon. Or, Rowbotham affirme le contraire et en conclut que la Terre est bien plate.

« Dans le comté de Cambridge, il existe une rivière ou un canal artificiel, appelé « Old Bedford ». Il fait plus de 20 km de long et … passe en ligne droite dans cette partie des Fens appelée « Bedford Level ». L’eau est presque immobile, souvent complètement, et n’est pas interrompue par des écluses ou des vannes; de sorte que [ce canal] soit, à tous égards, bien adapté pour vérifier si une convexité existe réellement ou quelle en est l’amplitude. »

Samuel Rowbotham, Zetetic Astronomy: Earth Not a Globe (1881)

En 1849, Rowbotham publiera ses résultats sous le pseudonyme de Parallax dans un pamphlet de seize pages intitulé « Zetetic Astronomy: Earth Not a Globe ». Il en fera un livre de 221 pages en 1865 puis, de 430 en 1881. Ce livre reste une référence chez les platistes qui y puisent encore bon nombre de leurs arguments. Le platiste Eric Dubay s’en est largement inspiré pour écrire son ouvrage « 200 Proofs Earth is Not a Spinning Ball ».

D’autres expériences furent réalisées sur ce même canal. En 1870, John Hampden propose 500 £ à qui pourra démontrer qu’une étendue d’eau a une courbure convexe. Alfred Russel Wallace relève le défi et plante deux piquets à hauteur égale à chaque extrémité du canal. Wallace constate qu’au télescope, un des piquets semble plus haut que l’autre. Hampden l’accuse d’avoir triché et le poursuit en justice. Wallace gagnera tous ses procès contre lui.

En 1901, Henry Yule Oldham reproduit l’expérience de Wallace en rajoutant un piquet intermédiaire. Grâce à un théodolite, il pu déterminer que le piquet médian était plus haut de 0,91m.

Cependant, Samuel Rowbotham n’a peut-être pas menti en affirmant qu’il ne voyait pas le bateau disparaitre à l’horizon. Ses résultats peuvent être expliqués par un phénomène de réfraction de la lumière, comme l’a démontré Cyril Bernerd.(2)

En 1864, à Plymouth, Rowbotham est mis au défi de prouver que la Terre est plate en présence de l’astronome Richard Proctor. Un télescope est installé sur la plage. Le but du défi est d’observer le phare d’Eddystone, situé à 22km. Comme le prévoient les calculs, on ne peut observer que la moitié du phare à cette distance, cependant Rowbotham réussi à convaincre le public qu’il s’agit bien là de la preuve que la Terre n’est pas un globe.

À partir de 1849 Samuel Rowbotham entamera une série de conférences dans le monde entier et ce, pendant 35 ans.

Il est devenu un redoutable orateur adepte de la technique du « Gish Gallop » (d’après le nom du créationniste Duane Gish), technique qui consiste à noyer son interlocuteur sous un flot de sophismes et d’hommes de paille pour ne pas le laisser le temps de répondre. Un correspondant du Leeds Times dira de lui: « Une chose qu’il a démontrée, c’est que les chercheurs scientifiques qui ne sont pas habitués au plaidoyer en plate-forme sont incapables de faire face à un homme, un charlatan si vous voulez (mais habile et parfaitement dans sa théorie), parfaitement conscient de la faiblesse de ses adversaires ».

Après le décès de Rowbotham en 1884, Lady Elizabeth Blount (épouse de l’explorateur Walter de Sodington Blount) fonde la « Universal Zetetic Society » et publie la revue intitulée « The Earth Not a Globe Review ». Elle tentera elle aussi de reproduire l’expérience du canal de Bedford et va injecter dans le mouvement de la Terre plate des conceptions religieuses. Les idées de Rowbotham seront d’ailleurs reprises par la « Christian Catholic Apostolic Church of Zion » une église basée dans l’Illinois qui promeut la « théorie » platiste par l’intermédiaire de la station de radio lui appartenant.

William Carpenter, un imprimeur de Greenwich, en Angleterre, continuera également aux États-Unis le travail de Rowbotham. À partir de 1864, il publie sous le pseudonyme de « Common Sense » un livre en huit parties intitulé « Theoretical Astronomy Examined and Exposed – Proving the Earth not a Globe ». Il émigre plus tard à Baltimore et y publie en 1885 « A hundred proofs the Earth is not a Globe ».

Après la première guerre mondiale, le phénomène Terre plate sera en perte de vitesse jusqu’en 1956, date à la quelle est créée la fameuse Flat Earth Society par l’anglais Samuel Shenton. La Flat Earth Society a pour particularité de s’éloigner des idées religieuses de Lady Blount et va surtout se focaliser sur la remise en question des avancées dans le domaine de la conquête spatiale telles que les premières photos de la Terre prises par Explorer 6 en août 1959 et la mission lunaire Apollo. Charles K. Johnson dirigera la F.E.S. à la suite de Shenton et le nombre de membres passera de 3500 personnes à 200 dans les années 80. A la mort de Johnson en 2001, le mouvement hiberne jusqu’à ce qu’il soit repris par Daniel Shenton en 2004.

La Flat Earth Society renaîtra de ses cendres en 2009 mais ne compte que 42 membres en 2012. Peu importe car les réseaux sociaux vont réussir à redonner une seconde jeunesse aux idées de Samuel Rowbotham, les rendant virales.

Les raisons de croire à la Terre plate peuvent-être philosophiques et religieuses (univers mesquin, géocentré créé pour l’humain en tant qu’achèvement de la création divine) ou simplement complotistes (les gouvernements nous cachent la vérité sur la vrai forme de notre planète pour des raisons variées, la NASA ment, etc…) mais cette idée n’a jamais été aussi populaire que depuis l’invention des réseaux sociaux.

(1) La forme de la Terre, un aperçu de la science médiévale. Conférence de Jean-Marc Mandosio – https://youtu.be/3Kn651BrMKQ

(2) https://cortecs.org/wp-content/uploads/2018/01/25.17_The-Bedford_level_experiment_ARCHINARD_FLATRY_LAURENT_LEVENANT_SABRI_2017.pdf

Sources : http://www.skeptophilia.com/2016/06/disc-world.html

https://www.tfes.org (site officiel de la Flat Earth Society)

Tous droits réservés / copyright © terre-plate.org 2022