Pourquoi les platistes se trompent

Erika Wehrel – Lundi 4 décembre 2017
Note : la chaîne ITV a été supprimée par YouTube en octobre 2018

Lors d’une vidéo datant d’il y a quelques mois et republiée le samedi 2 décembre 2017, François d’ITV annonce avoir prouvé par la géométrie que la Terre est plate. Il est excité comme un puceau et demande à ses ouailles de répandre partout la bonne parole. « Une reprise d’un sujet déjà traité sur ITV mais qui mérite d’être rappelé car il n’existe pas de meilleure preuve de l’absence de rotondité sur notre terre », écrit le bon François, qui se prend pour le pape d’une nouvelle religion alors qu’il n’est qu’un vieux comédien spécialisé en voix off qui essaie de gagner un peu d’argent sur le dos des moutons platistes.

François veut faire de la géométrie ? Très bien, on va en faire. Et je vais démontrer pourquoi son raisonnement ne prouve en aucun cas que la Terre est plate. Ce sera mathématique et donc irréfutable, mon cher François ! Pour cela, je fais appel à des connaissances basiques enseignées au collège : théorème de Pythagore, racine carrée, identités remarquables… En théorie, comme le passage par le collège est obligatoire, mon raisonnement est accessible à tout le monde, sauf à ceux qui ont chahuté ou somnolé en classe.

Considérons une sphère de centre C et de rayon R. Un observateur est placé au point O, à une distance h de la sphère. Un objet situé au point A n’est visible par l’observateur que s’il est situé à une hauteur minimale x de la sphère, sachant que la distance de O à A est D. Le problème est de calculer x. Il existe des logiciels qui font ce calcul, mais mon souhait est de faire fonctionner mes neurones, contrairement à François-le-cancre. Pour cela, je partage le triangle OCA en deux triangles rectangles, OBC et ABC, dans lesquels le théorème de Pythagore peut être appliqué. La première formule me donne la distance d = OB en fonction de R et de h : elle est égale à la racine carrée de 2Rh. J’ai fait une approximation en supposant que h est beaucoup plus petit que le diamètre 2R de la sphère. Elle est valable si l’on suppose que l’observateur se trouve sur une montagne de 2 ou 3 km de haut. C’est effectivement négligeable devant le diamètre 2R = 12 742 km de la Terre.

La formule obtenue s’écrit également h = d²/2R et elle peut être appliquée au triangle ABC. Elle devient dans ce cas x = (D – d)²/2R, ce qui est la réponse à la question posée.

Je vais prendre comme exemple une photographie de Marc Bret. Il s’est placé sur le pic de Finestrelles dans les Pyrénées, qui culmine à 2 820 mètres, soit à 2,82 km. De là, il a pu voir la barre des Écrins dans les Alpes, qui est à 440 km de là. Elle apparaît sur le centre gauche de sa photo. Peut-elle être visible sur une Terre de 6 371 km de rayon ? Pour le savoir, on calcule d’abord d et on trouve 189,56 km. Sachant que D = 440 km, on obtient x = 4,922 km. Par conséquent, la barre des Écrins devrait s’élever à plus de 4 922 mètres pour être visible. Manque de bol, elle n’a que 4 102 mètres d’altitude.

Faut-il alors rendre les armes et admettre que François-le-cancre a raison ? Pas du tout ! L’explication est que les rayons lumineux, pour aller du point A (le sommet des Écrins) au point O, ne se sont pas déplacés en ligne droite, grâce à la réfraction de l’atmosphère. Ils ont en quelque sorte contourné la Terre. Mais même si l’on ne tient pas compte de ce phénomène, le résultat obtenu n’implique pas du tout que la Terre soit plate. Il implique que son rayon est supérieur à 6 371 km. Pour calculer le rayon minimal permettant au point A d’être visible, on exprime R en fonction de h et de x. J’ai fait le calcul et j’ai trouvé la dernière formule. Avec D = 440 km, h = 2,82 km et x = 4,10 km (point culminant des Écrins), cela donne R = 7 055 km. Grâce à un tel rayon, on peut voir le sommet des Écrins. Si vous voulez voir les 500 mètres les plus élevés de cette barre, vous prenez x = 3,60 km et cela vous donne R = 7 568 km.

C’est à peu près le rayon de la Terre que l’on obtient quand on fait ce genre d’observation sans tenir compte de la réfraction. Le résultat est très loin de la Terre plate, qui peut être considérée comme une sphère de rayon infini.

Je vais quand même dire un mot de la réfraction, phénomène connu et mis en équation depuis le XVIIe siècle. Elle est décrite par la loi de Snell-Descartes. Si une onde traverse une interface entre deux milieux où ses vitesses de propagation sont différentes, elle est déviée. La lumière se propage dans le vide à la vitesse c = 299 792 458 m/s. Cette vitesse est inférieure dans un milieu matériel transparent. Si on la note v, on définit l’indice de réfraction du milieu comme étant le rapport n = c/v.

En fait, la vitesse dépend aussi de la longueur d’onde (la lumière bleue va moins vite que la lumière rouge), si bien que les choses sont compliquées. Mais en première approximation, on peut considérer que l’indice de réfraction de l’eau est de 1,333, ce qui correspond à v = 224 900 568 m/s. L’indice de réfraction de l’air est très légèrement supérieur à 1. Il diminue avec l’altitude (parce que la vitesse de la lumière augmente avec l’altitude), de manière continue, jusqu’à devenir égal à 1 dans le vide. Les rayons de lumière sont donc systématiquement recourbés vers le bas. C’est pourquoi la hauteur de tout ce que l’on aperçoit près de l’horizon, sur de grandes distances, est exagérée. Je ne parle pas ici des petits mirages apparaissant souvent sur la route, par de chaudes journées d’été, qui donnent l’impression de voir des flaques d’eau. La courbure des rayons est dans ce cas inversée, à cause de la très forte augmentation de température près de la route. Le schéma explique pourquoi la Corse est visible depuis Menton. Le rayon de lumière incurvé est en rouge.

En bonne passionnée de géologie, je ne peux pas m’empêcher d’évoquer les ondes sismiques, qui obéissent aux mêmes lois. La vitesse de ces ondes augmente avec la profondeur dans le manteau terrestre, parce que la densité des roches augmente. Il en résulte que les rais sismiques sont systématiquement recourbés vers le haut. La courbure est l’inverse de celle des rayons lumineux dans l’atmosphère, mais en fait, les deux phénomènes sont semblables : les rais sismiques et rayons lumineux sont incurvés vers la surface de la Terre parce que plus les ondes s’en éloignent, plus leur vitesse augmente. Remarquez que dans la Terre, il y a des surfaces où les vitesses varient brusquement, ce qui provoque à la fois une réfraction et une réflexion : ce sont les interfaces entre le manteau, le noyau externe et le noyau interne.

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